A trois jours, on note tout, le poids au gramme près, le lait ingurgité/régurgité, les heures de sommeil en pointillé, on ne donne pas le bain sans avoir pris la peine de plonger trois fois le thermomètre dans l'eau, ni trop chaude, ni trop froide. A trois semaines, on note l'heure du premier sourire, on s'inquiète des larmes intarissables, les cris du soir. A trois mois, on se sent prête à rédiger trois feuillets sur ses gazouillis, ses rires en cascade – sauf qu'on n'en fait rien, et qu'au final, on ne se souvient plus si c'était à trois mois ou quatre mois et demi... N'empêche que, on note, on griffonne, on remplit consciencieusement le carnet de l'ONE, on entame un journal de bébé pour ne rien oublier...
On ne sait plus trop quand elle a appris à se retourner, mais on a les photos de ses premières stations debout, accrochée à son lit ; on a encore noté les premières dents, le premier anniversaire les premiers pas, les premiers mots, et puis tout s'enchaîne, les progrès quotidiens, les découvertes, plus le temps de noter, on suit le fil au jour le jour et on profite.
Encore quelques pages pour le petit pot, les jours puis les nuits sans pampers, le passage au grand lit sans barreaux, l'entrée à l'école.
Et puis ? C'est déjà flou, déjà des mots qu'elle inventait, transformait sont tombés dans l'oubli, des rituels qu'on pensait immuables qui ont déjà disparu... Tout va si vite, on a du mal à suivre. Et pourtant, je me connais, quand je n'écris pas, quand je ne prends pas de photos, je perds le fil des moments si forts, qui s'estompent, remplacés par d'autres, tout aussi forts, tout aussi importants.
Alors, pour mémoire, Clara à trois ans trois quart, c'est encore
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une petite fille qui massacre allègrement les chiffres (un, deux, prois) et les lettres (un passagra, un pologan), mais qui distingue depuis des mois la gauche de la droite ;
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des petits pieds qui glissent sur le plancher une à quatre fois par nuit pour réclamer un rab de câlins ou un verre d'eau – ce qui nous laisse les yeux au niveau des genoux, quatre jours sur cinq – effectivement, c'est pas très joli à voir ;
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toujours un biberon de lait le matin et rien d'autre – un biberon le soir jamais fini, juste pour le plaisir d'ensommeiller la fin de journée ;
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un garçon manqué qui voudrait un zizi et un déguisement de chevalier, et aussi une vraie minette qui câline ses bébés et veut un sac-à-boum pour porter sa poupée sur le ventre ;
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une enjôleuse qui fait traîner le coucher/le lever/le départ à l'école en réclamant "un petit bisou, un gros bisou, un petit câlin, un gros câlin" – oui, tout en même temps – et... ça marche... ;
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une oreille musicale qui commence petit à petit à chanter elle-même (la souris verte , dans sa maison un grand cerf, le petit canard au bord de l'eau, et bon anniversaire en boucle ou en remix, ) mais qui réclame des chansons et des impros tous les jours (et faut parfois se creuser pour inventer "la chanson de la chambre", la chanson du hamac" ou "la chanson de Giacomo/Jérôme/ Alain et Cathy" à la minute...) ;
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une sauvageonne qui persiste à se taire en public et à faire un signe de la main en guise d'au revoir, mais qui finit par grimper sur la tête de qui que ce soit au bout de quelques heures d'approche. Et là, y'a du boulot pour décrocher le crampon ;
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des colères inexpliquées, des bouderies violentes qui se terminent toujours par des larmes et un "T'es pas fâché(e) !" en sanglots – et là, il ne faut JAMAIS JAMAIS répondre par l'affirmative. Pour elle, c'est le drapeau blanc, ça veut dire "on arrête, on fait la paix", et lui refuser ça, c'est le drame...
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des petites quenottes malicieuses qui grignotent façon raton-laveur et lui font le plus craquant des sourires ;
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une fan de Nemo, Franklin, des Aristochats, de la Belle et le Clochard... et de la fée Clochette sans même avoir vu Peter Pan ! ) ;
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un estomac qui, s'il s'écoutait, se remplirait exclusivement de pâtes, de viande et d'oeufs à la coq – avec, comme dessert, de la glace et des biscuits au chocolat, merci ;
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une bouche qui commence ses phrases par "tu sais, tu sais", ou "attends, je vais te dire quelque sose" ;
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une mémoire d'éléphant, qui retient tout, surtout ce qu'elle ne devrait pas entendre ;
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une démarche de kangourou bien nourri, pour le plus grand bonheur des voisins du dessous (et boum et boum et boum) ;
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des menottes colorées, peinturlurées, noiraudes, collantes de jus de pomme (mais que j'aime sa petite main dans la mienne) ;
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des conversations du soir, entre préoccupations du moment (en vrac, les bébés dans le ventre des mamans, et comment y retourner, les zizis et les slips des garçons – ouais, déjà – et pourquoi il faut dormir ??? ) et récap de la journée (Ness a dit qu'elle etait pu ma copine dans la cour de récréation – ouais , déjà bis) ;
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deux gambettes qui aiment danser, tournoyer, voler... Musique préférée du moment, après les vacances en Grèce ? Bé wé, Zorba le grec. Ambiance souvlaki/sirtaki quand Clara choisit la musique, pour le plus grand bonheur des voisins du dessous, bis (tadam, tadadadam, tadam, tadadadam...) ;
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des allers-retours d'école en vélo, avec, le soir, un arrêt sur la place pour attendre sa copine Céleste, et faire les fifolles ;
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une odeur sucrée dans le creux de son cou, le plus doux parfum du monde ;
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un amour, qui grandit, qui grandit, qui grandit...